Mathilde Alet

FR/BE

Mathilde Alet est née en 1979 à Toulouse. Elle y passe ses années de maternelle, puis des séjours chez ses grand-mères le temps des vacances. Toulouse est par excellence la ville d’enfance, dont elle ne connait que deux appartements et le Jardin des plantes (des paons entre les allées, une balançoire comme un bateau). Toulouse sera le décor de son premier roman, Mon Lapin (Luce Wilquin, 2014), qui explore le retour dans sa ville natale d’une jeune femme en deuil. La famille s’installe à Courchevel où son père travaille à la mairie comme cadre supérieur, tandis que sa mère gère la maisonnée et leurs quatre enfants. Elle se marre des Parisiennes en bottes poilues qui prennent le soleil au sommet des télésièges, sans même chausser des skis. Ses parents décident ensuite de quitter les cimes pour une ville de province faite de pierres et pavés, où elle découvre le goût du Baileys, l’adrénaline de chourer des robes chez Pimkie, et la violence sociale de la bourgeoisie locale. Son bac littéraire en poche, elle commence des études de droit à Cologne, en Allemagne, qu’elle achève à Paris. En 2004, elle s’installe à Bruxelles qui devient sa ville d’ancrage. Elle s’engage en terrain militant et associatif sur les questions de la place des femmes dans la société, et dans la culture en particulier. Son second “roman belge”, Petite fantôme (Luce Wilquin, 2016), évoque le lien entre deux sœurs, mis à l’épreuve par le succès. Son premier roman publié en France, Sexy Summer (Flammarion, 2020, finaliste du Prix Filigranes et du Prix Les Grenades), aborde l’adolescence crue, mélange de langueur et de violence, vécue par une jeune fille déracinée. Mathilde Alet écrit au point du jour, avant le premier café (prima luce). Son écriture se nourrit de l’intime et, au fil des années et des livres, se tisse de réflexions politiques – au sens de politisation de l’intime, pas de polarisation partisane.
Mathilde Alet devient mère à 40 ans, événement qui la bouleverse tout entière et imprègne sa démarche littéraire.

L’imprudente

Aperto

« Je dévore un petit-déjeuner gargantuesque en face de ma sœur qui tourne une petite cuillère dans un cappuccino. Je lui ai donné rendez-vous dans un café près de chez moi par un message qui annonçait Il m’arrive un drôle de truc. Quel teasing ! a-t-elle commenté. Avalés le pain au chocolat et le yaourt au müesli, j’attaque la salade de fruits. Je n’avais pas faim le matin, avant. Ma sœur est venue avec sa fille de quatre ou cinq mois qui tête longuement son sein puis lève une bouille radieuse et adresse des sourires aux clients qui frôlent notre table. Elle accapare nos regards par ses micromouvements permanents, comme des ondulations à la surface d’une mer calme. Elle bouge une joue, un pied, un genou, forme avec ses lèvres des ronds qui miment encore la succion. J’attends longtemps avant de prononcer les mots choisis. Nous commentons la petite et la décoration par des phrases hachées de points de suspension quand la parole n’a plus d’espace, quand une petite main menace de renverser une tasse, une chaussette d’être retirée tout à fait. Je me demande pourquoi on tombe enceinte, pourquoi la chute. Tomber, m’a indiqué un dictionnaire en ligne, c’est être entraîné par son propre poids d’un point plus élevé vers un point moins élevé, sous l’effet d’influences de toutes natures. Le poids dans mon ventre est trop négligeable pour m’entraîner où que ce soit, sauf à l’estimer par une autre mesure que les kilogrammes, à jauger l’élévation par un autre niveau que le sol. Je suis tombée enceinte et c’est un accident, dis-je enfin. J’enchaîne très vite les deux parties de ma phrase pour que ma sœur ne s’arrête pas à la première avec un pétillement dans ses yeux écarquillés qui piquerait immédiatement les miens. Ma gosse est un accident, c’est ainsi que d’abord je l’appelle. »

Dans ce roman du réel la narratrice, en trois mouvements – Ou plonger, Quatre par seconde et Post parfum for ever – partage entre violence et douceur, analyse et sensorialité son expérience d’une maternité par « accident » à presque quarante ans. Comment envisager voire accepter ce que l’on ne s’était jamais imaginé vivre : porter un enfant ; le « planifier » ; changer sa vie et devenir trois tout en évitant d’être fragmentée, aspirée, annihilée par cette « gosse » ?

Actualités

A propos de son précédent roman, Sexy Summer (Flammarion, rentrée littéraire 2020)

« Un roman qui réussit sa description des atmosphères – parfois étouffantes, parfois étranges – de notre province. » Sébastien Ministru – Moustique

« Avec une remarquable délicatesse, Mathilde Alet dépeint les affres de l’âge ingrat, l’envie d’avoir un corps à la hauteur de ses ambitions et la déception d’être renvoyé dans le clan infamant des loseurs. » F.L. Paris Match

 

D.R.