Christian Carayon

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L’écriture a toujours attiré Christian Carayon. Au collège, sa professeure de français lui reproche de « trop écrire ». Un jour, elle annonce devant toute la classe que désormais, elle notera ses copies au poids. Pour autant, le déclic ne survient qu’assez tard, il y a une quinzaine d’années. Sa passion pour le cinéma a longtemps été un frein : les images prenaient le dessus, si bien que l’exercice du roman le frustrait. Il trouve un compromis en se lançant dans les scénarii de jeux de rôles grandeur nature dont il devient maître du jeu en famille. De cette époque, sont nés ses deux premiers romans publiés : Le diable sur les épaules remarqué par un jury populaire et publié aux Nouveaux Auteurs et finaliste du Prix Ca m’intéresse Histoire, et Les naufragés hurleurs.
Sa première aventure romanesque, Christian l’a tentée pour séduire celle qui est devenue sa compagne. Aujourd’hui encore, chacun de mes textes a pour but de l’épater.
Des étés durant, Christian persévère, « novelisant » ses anciens scénarii. Depuis, l’écriture l’accompagne chaque jour. Il adore tisser le canevas de ses intrigues, inventer les personnages, les paysages, les confronter. Il noircit quantité de cahiers sur fond sonore, assis à la table de sa salle à manger, la cheminée allumée dans son dos, la baie vitrée ouverte sur la forêt à sa droite et son chat coincé sur son bras libre – Christian est gaucher.
Au bout de plusieurs mois, vient le temps de l’accouchement. Au clavier, dans le silence.
Ses films et séries cultes, qui le nourrissent : Fenêtres sur cour, Sueurs froides, Un jour sans fin, Zodiac, Il était une fois en Amérique, Take Shelter, A most violent year, The party ou Impitoyables… Ou encore des séries comme The Americans, Fargo, Big little lies ou encore Mad men.
Son rêve ?
Inventer des récits, des personnages et trouver les mots qui ouvrent de nouveaux horizons. Comme pour le lecteur qu’il a été, happé par Un long dimanche de fiançailles, remué par Le Dahlia noir, impatient chaque soir de retrouver les Terres du Milieu du Seigneur des anneaux, marqué par les souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol, Le Grand Meaulnes ou L’attrape-cœur, ému par Des saisons au bord de la mer, réticent à traverser un couloir mal éclairé après avoir terminé un chapitre de La chambre ardente ou de Rebecca malgré une envie pressante, épaté par 44 jours, finissant à regret Echines
Mais aussi trouver le temps et l’abnégation de s’attaquer à toutes ces images, ces personnages qui sont en lui.

Mutatis mutandis – Ce qui devait être changé ayant été changé

Comment va la nuit ?, Hervé Chopin éditions, Mars 2023

APERTO :

« Ce jour-là, il s’était levé de bonne heure comme d’habitude. L’aurore n’en était encore qu’à surligner les crêtes et à dévoiler un ciel sans nuages. Or, le beau temps ne tiendrait pas.
La nuit refluant peinait à charrier les volutes de brume, un signe qui ne mentait jamais. La pluie était promise pour l’après- midi.
Il ne pouvait se laisser porter par les heures ainsi qu’il adorait le faire depuis qu’il vivait ici. Aujourd’hui, il se devait de suivre un plan précis, méthodique, pragmatique. Il n’avait pas le choix.
Quitter sa maison était une souffrance. On lui avait garanti un retour dans les 48 heures, alors il s’était raccroché à cette perspective, déjà pressé de revenir. Ce retour, il l’avait méticuleusement préparé. Il avait déjà rapporté deux stères de bois sous l’appentis, une quantité suffisante pour tenir le mois où il n’aurait qu’un bras valide. Il avait protégé les machines de son atelier et avait équipé son pick-up de pneus neige. Il avait cuisiné et congelé ses futurs repas. Ne lui restait plus qu’à mettre la dernière main à ces préparatifs. Défaire le lit, mettre les draps à la machine puis les étendre pour qu’ils soient secs avant son départ. Finir le ménage. Descendre au village pour les dernières courses. Monter aux Chavières dont il était censé assurer le gardiennage en l’absence de sa patronne. Préparer une petite valise. Refaire le lit avec des draps propres. Se débrouiller pour que, revenu de l’hôpital, il n’ait plus qu’à se coucher et à guérir.
Ensuite, il s’était douché et rasé. Il s’était forcé à manger un morceau malgré les réticences de son estomac. Il avait fait la vaisselle, réduit le chauffage, vérifié l’eau et l’électricité. Puis, il avait attendu son taxi.
Il avait passé cette matinée à mesurer ses gestes et à rentabiliser ses pas. Chaque fois qu’il se surprenait à agir ainsi, à économiser ses forces, il se sentait désespérément vieux.
À 14 heures précises, il avait perçu l’écho de la voiture longeant la rivière. Elle avait ralenti, hésité puis s’était décidée à emprunter le petit chemin qui grimpait sec avant d’aboutir sur un replat plus praticable. Il l’avait entendu se tromper à la fourche, prendre à droite pour échouer dans la cour de l’ancienne ferme, faire demi-tour et tenter sa chance à gauche. Il était sorti avant que le véhicule ne débouche dans sa cour. Il avait verrouillé sa porte et caché la clé dans l’appentis. Il avait reculé de plusieurs pas, contemplé la bergerie entièrement retapée de ses mains. Son regard avait suivi les lignes du toit pour s’accrocher à la montagne si proche du dos de la bâtisse qu’elle semblait sur le point de s’effondrer sur elle. La longue pente herbeuse se perdait d’abord sous un enchevêtrement de sapins pour en ressortir plus haut, sous formes d’à-pics rocheux, achevant ensuite de tutoyer le ciel aux Aiguilles ardentes.
Il n’avait rien laissé filtrer de son absence, choisissant même un taxi de la vallée pour ne pas attirer l’attention dans le village. On ne faisait pas vraiment cas de lui, du moins pas dans ce sens. Néanmoins, il préférait que personne n’en sache rien, que cela reste aussi secret que tout le reste. Même si la seule qui aurait pu s’en émouvoir était Caroline, sa patronne et amie. Elle était au courant pour son épaule abîmée, comment ne l’aurait-elle pas été après que son employé a passé une partie de l’été le bras en écharpe. Elle savait qu’il devait se faire opérer. Or, il lui avait fait croire que l’intervention avait une fois encore été reportée à cause de la pandémie. Il profitait de son absence. En ce moment, elle se pliait à sa traditionnelle et interminable tournée de la saison morte, rendant visite à sa famille et à ses amis dispersés aux quatre vents. Elle y tenait tellement qu’il avait craint qu’elle y renonce s’il lui avait dit la vérité, restant pour prendre soin de lui. Quand elle reviendrait, il serait déjà sur pieds et son bras fonctionnerait normalement. Elle râlerait, multiplierait les noms d’oiseaux à son encontre, blâmant son imprudence autant que son mensonge. Le mal serait fait. Ou plutôt, il aurait disparu. »

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Sortie simultanée de la version poche des Saisons d’après chez J’ai Lu en février 2023 !

 

Photo : coll. part.